Article dans Le Parisien du 21 juillet 2008

Ces milliards qui dorment dans les caisses des sociétés HLM

Odile Plichon| lundi 21 juillet 2008 | Le Parisien

Alors que le pays manque cruellement de logements sociaux, la trésorerie des sociétés HLM laisse apparaître un bas de laine de 11 milliards d’euros. La ministre du Logement propose de taxer les bailleurs qui n’investissent pas assez.

 

PLUS DE 1,2 MILLION de personnes en attente, parfois depuis dix ans. Des quartiers ghettos, encore. Des tours délaissées, toujours.

 

Tous les experts le reconnaissent : rarement, la pénurie de logements sociaux aura été à ce point criante. Pourtant, à regarder de près les comptes du monde HLM, ce n’est pas l’argent qui manque. Au contraire… en dix ans, la trésorerie des 860 bailleurs, privés et publics, est passée de trois à six mois de leurs recettes locatives (loyers), pour avoisiner les 11 milliards d’euros fin 2006 (derniers chiffres disponibles) ! Une jolie cagnotte qui, bien placée, fait des petits : l’an dernier, les seuls produits financiers ont rapporté 330 millions à l’ensemble des bailleurs sociaux.

Un trésor de guerre accumulé au fil des ans

Si ces organismes, donc, ont largement de quoi investir – le « potentiel financier »* des sociétés anonymes a même été multiplié par… 7 entre 2001 et 2006 ! – les projets, eux, sortent trop rarement de terre.

Envolée du prix des terrains, hostilité affichée de certains élus qui se moquent de la loi SRU (solidarité et renouvellement urbains) qui impose normalement un quota de 20 % de logements locatifs sociaux aux communes de plus de 3 500 habitants… certes, parfois, les bailleurs se heurtent à de vraies difficultés, les empêchant de mener à bien leurs projets.

En revanche, dans certains départements comme la Nièvre, la Drôme ou la Franche-Comté, ils n’ont plus besoin de construire ou presque, faute d’habitants, et les caisses des sociétés HLM se remplissent d’argent inutilisé. Les voilà, les fameux « dodus dormants » que la ministre de la Ville, Christine Boutin, souhaite faire passer à la caisse (lire ci-dessous) dans le cadre du projet de loi controversé qu’elle présentera le 28 juillet en Conseil des ministres. Mais ce trésor de guerre, accumulé au fil des ans, a aussi une autre origine : certaines structures, privées celles-là, économisent sur les frais de personnel ou les rénovations lourdes (lire page 3), afin de satisfaire aux critères de rentabilité imposés par leurs actionnaires.

* Ce qui reste, une fois déduites toutes les dépenses de construction prévues.

 

Des pratiques pas toujours très sociales

PARTENOR HABITAT à Lille, Cilger dans l’Est, La Sablière (SNCF) en région parisienne… partout, en France, des bailleurs rivalisent d’idées pour construire toujours plus et améliorer la vie de leurs locataires. D’autres, en revanche cherchent à être rentables avant tout.

Petit florilège de pratiques pas toujours très sociales.

Construire a minima. A Marseille, la demande explose. Or, depuis quatre ans, l’Opac Sud (Bouches-du-Rhône) n’a produit qu’une centaine de logements sociaux par an. Cet office public, qui touche les loyers de 32 000 locataires, n’agrandit donc son parc que de… 0,3 % chaque année. « En moyenne, les bailleurs tournent autour de 3 %, mais pour répondre aux besoins, il faudrait atteindre 8 % en Ile-de-France », calcule un expert en logement.

Construire… mais pas du « très social ». L’amélioration est réelle : de 2000 à 2007, les sociétés anonymes ont doublé la construction de logements vraiment sociaux pour les revenus les plus modestes (PLAI et PLUS, dans le jargon des experts). A ceci près que, dans le même temps, elles ont multiplié par… dix le nombre d’habitations moins sociales qui s’adressent aux revenus intermédiaires (dites PLS). « Les organismes rechignent à faire du très social, car ils amortissent moins vite leurs opérations », décrypte Daniel Leblanc, représentant d’une association de locataires à Sarcelles. Or, 80 % des personnes sur listes d’attente ont des revenus vraiment très faibles.

Agrandir son parc par des rachats. Entre 2001 et 2008, sur les 8 000 logements livrés par l’Opac de Paris, seul un tiers correspond à des constructions neuves : un autre tiers sont des rachats-réhabilitations, et le dernier tiers correspond à des rachats occupés (les locataires restent alors dans les lieux, quitte à payer un surloyer).

Mettre les loyers au plafond. Pour chaque type de logements qu’ils gèrent, les organismes fixent un loyer, dans une limite fixée par la loi. Si les offices publics, soumis à la pression des électeurs, réfléchissent à deux fois avant de réévaluer leurs loyers – « à Pantin, les loyers varient entre 66 % et 90 % des plafonds », souligne ainsi le maire (PS) de la ville, Bertrand Kern -, d’autres bailleurs, eux, les mettent d’office au niveau maximal.

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